Le grand poète martiniquais Aimé CÉSAIRE est mort ce jeudi matin
à Fort de France. Il avait 94 ans.
Créateur et chantre de la négritude, avec son ami sénégalais Léopold SEDAR SENGHOR,
Aimé CÉSAIRE fut un exceptionnel manieur et marieur de mots.
CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL
Accommodez-vous de moi. Je ne m'accommode pas de vous !
Parfois on me voit d'un grand geste du cerveau , happer un nuage trop rouge
ou une caresse de pluie, ou un prélude du vent,
ne vous tranquillisez pas outre mesure :
Je force la membrane vitelline qui me sépare de moi-même,
Je force les grandes eaux qui me ceinturent le sang
C'est moi rien que moi qui arrêtes ma place sur le dernier train de la dernière vague du dernier raz-de-marée.
C'est moi rien que moi
qui prends langue avec la dernière angoisse
C'est moi oh, rien que moi
qui m'assure au chalumeau
les premières gouttes de lait virginal !
Et maintenant un dernier zut :
au soleil (il ne suffit pas à soûler ma tête trop forte)
à la nuit farineuse avec les pondaisons d'or des lucioles incertaines
à la chevelure qui tremble tout au haut de la falaise
le vent y saute en inconstantes cavaleries salées
je lis bien à mon pouls que l'exotisme n'est pas provende pour moi
Au sortir de l'Europe toute révulsée de cris
les courants silencieux de la désespérance
au sortir de l'Europe peureuse qui se reprend et fière
se surestime
je veux cet égoïsme beau
et qui s'aventure
et mon labour me remémore d'une implacable étrave.
Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont des lagunes. Elles sont couvertes de têtes de morts. Elle ne sont pas couvertes de nénuphars. Dans ma mémoire sont des lagunes. Sur leurs rives ne sont pas étendus des pagnes de femmes.
Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres !
et mitraille de barils de rhum génialement arrosant nos révoltes ignobles , pâmoisons d'yeux doux d'avoir lampé la liberté féroce
(les nègre-sont-tous-les-mêmes, je-vous-le-dis
les vices-tous-les-vices, c'est-moi-qui-vous-le-dis
l'odeur-du-nègre, ca-fait-pousser-la-canne
rappelez-vous-le-vieux-dicton:
battre-un-nègre, c'est le nourrir)
Natif de Fort de France en 1913, ce petit-fils d'instituteur fut normalien et professeur.
Compagnon de route du PCF avant de fonder le Parti Progressiste Martiniquais,
ce défenseur de la tolérance était un anti-colonialiste fervent.
Il restera avec Martin LUTHER-KING et Nelson MANDELA comme l'une des
grandes figures du 20ème siècle.
rue89 lui consacre un très bel hommage, nourri de documents d'archives